Ce récit est un modeste résumé d’un témoignage de M. Bernard GROBOILLOT, édité en 1994 à l’occasion du 50ème anniversaire de la Libération de Saint-Germain-le-Châtelet que nous vous invitons à parcourir intégralement.
Après le débarquement du 15 août 1944 et les durs combats en Provence, les armées alliées avancent pour arriver en Bourgogne puis en Franche-Comté. Mais sur la route de la 1ère Armée Française, les routes et les ponts détruits font que l’approvisionnement des troupes ne suit pas, il faut faire une pause, le front se stabilise le 18 septembre sur une ligne allant de Pont De Roide à Ronchamp.
Le village est alors occupé par l’Armée Allemande avec toutes les interdictions, réquisitions, travaux obligatoires, perquisitions : poste de radio, bicyclettes, denrées alimentaires et enlèvement de tout le bétail, et toujours la menace d’une éventuelle déportation en Allemagne.
Le 22 novembre, Giromagny est libéré par la 1ère DFL (Division Française Libre). Le 24 novembre, les commandos passent à travers bois et arrivent à Lamadeleine Val Des Anges et ensuite Saint Nicolas. Les Saint Germinois, privés de poste de radio, ne connaissent pas exactement la situation, mais de jour en jour, le bruit du canon se rapproche. Les soldats allemands au village depuis deux mois s’en vont vers l’Alsace.
Mais le 22 novembre, les artilleurs allemands arrivent, deux canons sont mis en place derrière les maisons Frelin et Louis Groboillot (18, 22 Rue Principale) et font feu à tout moment direction Grosmagny-Etueffont. Le 24 novembre, les tirs sont orientés vers Rougemont, et enfin le 24 au soir, les artilleurs déguerpissent en abandonnant une partie du matériel. Les tirs des alliés ont redoublé d’intensité, des obus arrivent sur quelques maisons, les habitants s’abritent dans les caves et y passent la nuit. L’infanterie allemande se repli dans la nuit du 24 au 25.
Samedi 25 novembre au matin, après une nuit de bombardement, les tirs ont cessé mais l’inquiétude persiste. Il reste quelques soldats allemands isolés sans unités dans les rues. Vers neuf heures enfin, venant d’Anjoutey par Bourg, les libérateurs arrivent dans un bruit de moteur et de chenilles, les mitrailleuses crépitent au passage et arrosent les quelques allemands qui restent et se terrent dans les fossés, puis se rendent aux fantassins qui suivent les chars. Un soldat allemand est grièvement blessé devant la maison Frossard.
Les chars s’arrêtent dans la cours de l’école, les gens accourent, les tourelles s’ouvrent et les bérets à pompon rouge des fusiliers marins apparaissent : le village est libéré par la fameuse D.F.L ! C’est alors une effusion de joie au village. Les résistants de Saint-Germain-le-Châtelet viennent immédiatement se mettre à la disposition des militaires. Deux hommes guideront la colonne jusqu’à Rougemont, un troisième regroupe la dizaine de prisonniers et les conduit à Etueffont.
Il faut bloquer les issus du village, alors une colonne de blindés avance vers la sortie sud, et vers la rue du Moulin, un char ouvre le feu sur la RN 83, puis sur Les Errues où des Allemands ont été repérés. La maison de Emile Walger (restaurant les Iris) est fortement endommagée.
Mais il faut atteindre Rougemont. Deux chars s’y dirigent suivis d’un groupe d’infanterie sur des Jeeps équipées de mitrailleuses qui font feu sur quelques fuyards près du cimetière, ils passent alors Romagny sans un coup de feu et arrivent à Rougemont.
Saint Germain est enfin libre. Le Maire, Henri Bailly, est rétabli dans ses fonctions : il en avait été démis le 11 juillet 1944 :après l’arrestation de son frère l’abbé Lucien Bailly par la Gestapo, la famille de St Germain est devenue suspecte et Henri est soupçonné - à juste titre - d’actes de résistance. On apportera un motif futile à cette déchéance malgré la protestation de tout le Conseil Municipal adressé au Préfet et au Chef de l’Etat.
Monsieur Bailly reçoit donc à la mairie les libérateurs du village, le Commandant Barberot et le Lieutenant Bokanovski, chef du 1er char à entrer dans le village. Le commandant lui dit « Bokoff, je vous fais Duc de Saint Germain ! ».
L’autorisation est donnée de pavoiser et de sonner les cloches, les drapeaux apparaissent aux fenêtres, confectionnés dans la clandestinité, des drapeaux tricolores, mais aussi américains et anglais. Les villageois sont dans la liesse, on rit, discute, les vieilles querelles sont oubliées, jamais nous ne reverrons un tel élan de fraternité au village.
Dans le secteur, il ne reste que la route reliant Anjoutey à Saint Germain d’ouverte, aussi pour rejoindre Rougemont depuis Etueffont, la D.F.L et ses chars de toutes tailles, ses tanks Destroyer chasseurs de chars, ses Jeep, GMC, ses Dodges 4x4 ou 6x6, ses camions de transport de troupe et de ravitaillement, ses Half-Traks voitures automitrilleuses, ses scouts-car, command car, voitures amphibie, tous de marque américaines, passent à Saint Germain.
Certains cantonnent également à Saint Germain et les villageois découvrent la modernité du matériel mais aussi l’alimentation américaine, comme les « beans », conserves de haricots à la tomate fortement épicé, les chewing-gums et aussi les cigarettes blondes.
Le soir tombe, toutes les pièces des maisons, mais aussi les granges et les greniers sont occupés par les combattants de la D.F.L qui prennent un peu de repos bien mérité.
L’ennemi n’est pas loin, des canons sont installés au lieu-dit « La Mièle » et tireront notamment sur Lachapelle, faisant hélas des victimes civiles dans ce village.
Dimanche 26 novembre, l’église est remplie tant de civils que de militaires pour une messe d’action de grâce. Un drapeau tricolore ornera la croix du clocher et y restera jusqu’à son usure. Un char explose encore ce jour-là au carrefour de la route de Bethonvilliers et de la RN 83, victime d’une mine anti-char posée par les Allemands, le conducteur grièvement blessé est conduit à l’infirmerie dans l’école de St Germain. Un avion français est abattu à Bethonvilliers, le pilote sain et sauf rejoint l’armée qui venait de libérer ce village. Un soldat allemand gît le casque traversé d’une balle aux Errues vers le pont sur La Madeleine, il sera enterré au cimetière de Saint Germain.
Arrivant de Belfort, la 2ème Division d’Infanterie Marocaine, la 5ème Division Blindée comprenant un régiment de chars moyens, un escadron de tanks Destroyer, un escadron de reconnaissance Half-Tracks et un groupe d’automoteur d’artillerie, traversent notre village pour aller relever la 1ère D.F.L après la prise de Masevaux.
Les routes n’étaient pas conçues pour un tel trafic, les accotements et les fossés sont défoncés, il n’y a plus de route, tous les véhicules circulent sur un ruban de boue, tels les GMC qui traversent plusieurs fois par jour pour approvisionner les combattants ou les ambulances en sens inverse qui conduisent les blessés vers les hôpitaux.
Les soldats de divers régiments cantonnent au village pendant le rude hiver 44-45, mais c’est aussi le moment où de jeunes gens du village, réfractaires au S.T.O (Service du Travail Obligatoire) et qui avaient quitté le village pour s’engager dans la Première Armée Française, reviennent en permission : Fernand Bailly, passé par les Pyrénées et les geôles espagnoles avec Jean Faivet, Raoul et Jean Ehret engagés dans l’aviation, Jean Heidet de la 5ème D.B qui a participé à la libération du sud du territoire, Léon Bailly après 4 ans d’absence et des combats en Norvège, qui a rallié le Général de Gaulle en Angleterre en 1940 et participé avec les combattants de la France libre à toute l’épopée de la D.F.L.
En cette fin novembre 1944, la plus belle récompense pour la Première Armée Française est d’avoir fait refleurir le drapeau tricolore de Belfort au Rhin. Mais surtout elle a fait refleurir la joie dans les cœurs, joie intraduisible, si spontanée, grave et enthousiaste à la fois. Ce qui faisait dire au Général Delattre de Tassigny : « Jamais, nulle part, nos équipages de blindés, nos tirailleurs, nos légionnaires, nos goumiers et nos F.F.I n’ont connu pareil accueil, plein de tant de chaleur, riche de tant de générosité. »
Mairie de Saint-Germain-le-Châtelet